📖 L'histoire
Autrefois, au hameau des Fréaux, un chemin nommé le sentier du Peyronnet menait jusqu’à un étroit replat dans les montagnes de l’Adroit, où quelques misérables chaumières s’étaient blotties.
Ceux qui vivaient là étaient appelés les Petites Gens. On disait qu’ils étaient de petite taille, comme des enfants, et portaient des vêtements très grossiers. Les hommes étaient bourrus et hirsutes, et les femmes ne se montraient presque jamais.
Quand leur feu venait à s’éteindre, ils envoyaient l’un des leurs jusqu’aux Fréaux pour rapporter de la braise dans un tupin — un petit pot en terre.
Le petit homme descendait avec son récipient à la main. Arrivé au-dessus du village, il guettait la cheminée d’où s’échappait de la fumée et attendait le départ du mari avant d’aller frapper à la porte.
La femme, toujours charitable, allait puiser à son âtre quelques morceaux de braise ardente qu’elle déposait dans le pot brûlant. Parfois, en secret, elle ajoutait une brotche — une petite baguette de bois trempée dans le soufre, qui s’enflammait au contact de la braise et servait à s’éclairer.
Certains soirs d’hiver, lorsque la veillée s’éternisait et que la solitude se faisait lourde, le petit homme venait rendre visite à la femme, lorsque son mari veillait chez les voisins.
Sans bruit, il entrait dans la maison et s’asseyait sur le rebord de l’âtre. Il aimait la regarder filer la laine : les gestes précis, le rythme du rouet, la pédale qui battait doucement, les ombres dansantes projetées par le feu… tout cela l’enchantait.
Mais il ne s’attardait jamais : d’un timide bonsoir, il repartait toujours avant le retour du maître de maison. Quand celui-ci rentrait, sa femme lui disait :
« Ce soir encore, le Petite Gens est venu ! »
Et l’homme répondait toujours :
« J’aurais bien aimé le voir ! »
Mais lorsque le mari était là, le visiteur ne venait jamais.
Un jour, le couple décida de lui tendre un piège pour mieux le connaître.
— « Donne-moi tes habits, dit l’homme à sa femme. Tu prendras les miens et tu iras à la veillée. Moi, je resterai ici à ta place et ferai semblant de filer. Ce sera bien le diable si je ne parviens pas à le voir ! »
Ils échangèrent donc leurs vêtements. L’homme se couvrit la tête d’un morceau de toile, tandis que la femme, vêtue en homme, partit chez les voisins.
Devant le rouet, dans le silence de la maison, l’homme fit mine de travailler. Bientôt, un léger bruit se fit entendre à la fenêtre : le Petite Gens approchait, jetant un regard discret avant d’entrer.
Sans lever la tête, le faux fileur pressait la pédale. Le petit être entra, s’assit comme à son habitude… mais il s’aperçut aussitôt que quelque chose n’allait pas. Ce visage n’était pas celui de la mâma ! Et quelle maladresse ! Le fil ne passait même pas dans la broche…
Alors, comprenant la ruse, le Petite Gens se redressa d’un bond et s’écria :
« File, filoche… mais jamais n’encoche ! »
Puis il disparut dans la nuit noire. On ne le revit jamais plus.