📖 L'histoire
Vers 1880, la dernière famille huguenote du Chazelet possédait un petit chalet d’été à la montagne des Combettes. Là-haut, la vie était rude mais paisible, rythmée par le travail des champs et la lecture du Livre saint. On y menait une existence simple, frugale, dans le respect du travail bien fait et de la prière quotidienne.
Un soir, la famille était réunie dans la cuisine, une pièce basse au sol de terre battue, faiblement éclairée par la flamme vacillante d’une lampe à huile. Le vent sifflait dehors, et la montagne, déjà plongée dans la nuit, semblait écouter le murmure des psaumes récités.
Tous étaient à genoux, les mains jointes, en train de faire la prière du soir. Le père Adolphe, homme grave et droit, menait la lecture d’une voix lente et assurée, tandis que les enfants, sages et recueillis, répétaient les paroles à mi-voix.
Soudain, un grand fracas retentit depuis l’écurie attenante. Le vieux cochon, pris d’une fureur inexplicable, venait de briser la mince barrière de bois qui le retenait. Dans un vacarme de sabots et de grognements, il enfonça la porte et surgit dans la cuisine, les yeux brillants et le groin fumant. En quelques secondes, il alla plonger sa tête dans la marmite de soupe suspendue à la crémaillère.
L’un des enfants, pris de panique, se leva d’un bond pour chasser l’animal, mais le père Adolphe, sans même tourner la tête, l’arrêta d’un geste ferme.
Puis, sans hausser le ton, il dit :
« Quand on prie Dieu, on prie Dieu. »
Le silence retomba aussitôt. Le vent soufflait toujours dehors, le feu crépitait, et l’on entendait le bruit régulier du cochon qui aspirait goulûment la soupe. Nul ne bougea, nul ne parla. La prière reprit, aussi posée qu’avant, comme si rien ne s’était passé.
Et ce soir-là, dans la petite cuisine des Combettes, le cochon mangea la soupe — tandis que les hommes, fidèles à leur foi, poursuivaient, imperturbables, leur entretien avec Dieu.