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Le brigand de Malaval

Photographie de la route de La Grave mettant en scène Le Dauphin, capturée par Émile Duchemin entre 1890 et 1914.

📖 L'histoire

Dans la combe de Malaval, au-dessus d’une bâtisse en ruines qu’on appelait la Maison Neuve, un petit replat se cache au pied des falaises, tout en haut des éboulis. À cet endroit nommé Grusseru, on distingue encore les vestiges moussus d’anciens murs de pierre, près d’une source claire qui coule même en hiver. La légende raconte qu’autrefois, cet endroit isolé abritait un brigand. La combe de Malaval fut de tout temps un passage fréquenté, mais aussi l’un des plus dangereux. Entre les falaises abruptes du plateau d’Emparis et les pentes sombres de la Meije, le chemin, étroit et sinueux, s’enfonçait dans une gorge si profonde que le soleil n’y descendait presque jamais. Depuis son abri de Grusseru, le brigand dominait tout le sentier sur plusieurs kilomètres. De là, il voyait venir les voyageurs à pied ou à cheval et, sans être vu, il pouvait se précipiter en bas des éboulis pour leur tendre une embuscade. Après son forfait, il remontait se cacher dans ses rochers, invisible aux yeux de tous. Un jour pourtant, la fortune lui tourna le dos. Guettant une silhouette qui approchait dans le crépuscule, il bondit de sa cachette pour attaquer… mais s’arrêta net : c’était son neveu, son filleul, qu’il allait frapper. L’homme, dans un souffle, lui épargna la vie, non sans lui ordonner de garder le silence. Le jeune homme, tremblant, reprit le chemin de La Grave. Il ne pouvait dénoncer son oncle, encore moins son parrain, mais la honte et le remords lui pesaient. Les nuits suivantes, il ne trouva plus le sommeil. Un dimanche, à la sortie de la messe, après avoir un peu bu pour se donner du courage, il laissa échapper ces mots en fredonnant un refrain : « Il y a un Nérou aux Balmes, Et si vous ne le tuez pas, Il fera grand mal. » Le message ne passa pas inaperçu. On parlait déjà d’un bandit dans la combe, et les autorités tirèrent aussitôt les vers du nez au malheureux. Après l’avoir fait boire, il finit par tout raconter. Les hommes du village décidèrent alors de piéger le brigand. Ils fabriquèrent un mannequin de paille, l’habillèrent avec soin, le juchèrent sur un cheval et lui passèrent une large sacoche en bandoulière, bien visible. À la tombée du soir, la troupe se mit en route, suivant discrètement le cheval. Ils avaient attaché une longue ficelle au mannequin de paille. Dans l’obscurité, les sabots résonnaient sur les dalles de la vieille route delphinale, tandis que les villageois armés suivaient en silence, dissimulés dans les bas-côtés. Aux Balmes, le Nérou — car c’est ainsi qu’on le surnommait — guettait. En entendant les pas, il tira sur la forme du cavalier. Aussitôt, les villageois tirèrent sur la ficelle, ce qui fit basculer le mannequin à terre. Pensant avoir réussi son coup, le bandit s’approcha pour dépouiller sa victime, mais il n’eut pas le temps de comprendre : les hommes surgirent de l’ombre et se jetèrent sur lui. Ligoté, il fut conduit à La Grave. Là, la stupeur fut générale : tout le monde le connaissait. On l’enferma dans le cachot de la maison commune, puis, le dimanche, on l’exposa publiquement, attaché, pour que chacun lui fasse honte. Après quelque temps, le consul et l’assemblée rendirent leur verdict : le Nérou fut condamné à mort. La légende dit qu’il fut exécuté sur place, la tête écrasée — ainsi s’acheva, dans la vallée obscure de Malaval, l’histoire du dernier brigand des falaises. *Le terme “Nérou” serait une déformation patoise de Néron, Empereur romain associé à la cruauté
📌 Informations
🧑 Auteur

admin

🔗 Source

Paul Louis Rousset, Au Pays de la Meije

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