📖 L'histoire
Bien avant que les villages ne prennent leur forme actuelle, les hautes vallées de l’Oisans et du Dauphiné auraient été le théâtre d’une présence étrange. On racontait qu’une race de petits êtres à la peau sombre et aux membres trapus occupait alors les replis les plus reculés de la montagne. À Mizoën, leur souvenir s’est transmis plus longtemps qu’ailleurs, et l’on montre encore une cavité rocheuse que l’on appelle la grotte des nains.
Ces créatures vivaient en marge des Gaulois qui occupaient la vallée. Insaisissables, elles apparaissaient la nuit ou à l’aube, laissant derrière elles des traces de passage inquiétantes : cabanes incendiées, bêtes disparues, récoltes ravagées. Leur réputation était celle d’êtres malfaisants, mais elle s’accompagnait d’un respect mêlé de crainte. Car les nains de Mizoën passaient aussi pour être d’habiles artisans du bronze.
Lors de représailles menées par les Gaulois, on aurait retrouvé sur leurs corps ou dans leurs repaires des objets finement travaillés : pointes de lance, couteaux, haches légères, bracelets torsadés, anneaux, fibules et petites pièces métalliques dont l’usage exact s’est parfois perdu. Ces vestiges alimentèrent longtemps l’idée que ces nains étaient d’anciens potiers et fondeurs, dépositaires d’un savoir que la montagne avait abrité avant l’arrivée des hommes.
Avec le temps, pourtant, leur mode de vie aurait changé. Refusant de cultiver la terre ou d’élever des troupeaux, ils se seraient détournés du travail patient du métal pour vivre de rapines. Les Gaulois, dit-on, avaient percé leurs secrets de forge, et les nains ne tiraient plus de fierté de leur art. Repliés dans la grotte de Mizoën, ils parcouraient le pays alentour pour piller, disparaissant aussitôt dans les bois ou les ravins.
Le récit le plus sombre lié à leur disparition est resté gravé dans la mémoire locale.
Une femme de leur peuple, voyant les siens diminuer et perdre leur vigueur, aurait voulu régénérer son espèce. Une nuit, elle s’introduisit discrètement chez une Gauloise et lui déroba un enfant blond, laissant à sa place son propre nourrisson. Pendant plusieurs jours, elle parvint à empêcher l’enfant volé de pleurer. Mais celui qu’elle avait abandonné ne cessait de crier. Épuisée, la naine finit par revenir, rapporta l’enfant gaulois et reprit le sien, accusant la mère humaine de n’avoir su apaiser ses pleurs.
Cet affront mit le feu aux colères. Dans tout l’Oisans, les Gaulois se rassemblèrent. Une nuit, ils traquèrent les nains jusque dans une forêt dense et redoutée, que l’on disait sacrée depuis des temps immémoriaux. Pour en finir, ils y mirent le feu. Aucun des nains ne serait sorti vivant des flammes.
Mais cette victoire marqua le début des malheurs. La destruction de la forêt sacrée aurait irrité les divinités tutélaires des Ucènes. Dès lors, les orages se firent plus violents, les torrents dévastèrent plateaux et vallées, et les terres autrefois fertiles de l’Oisans connurent une suite de calamités. Beaucoup virent là la preuve que l’équilibre ancien avait été rompu.
*Ces légendes impliquant la présence de petits êtres bruns est a priori la survivance de récits gaulois ayant plus de 2000 ans. Vers le Ve siècle avant J-C, les peuples gaulois venus du Nord ont en effet chassé et remplacé les Ligures qui habitaient alors les Alpes. Les Ligures étaient décrits comme petits et basanés. Cette légende est donc probablement la transformation d'évènements historiques ayant eu lieu il y a deux millénaires.
** Cette légende est parfois associée au déboisement de l'Oisans : c'est en brûlant les forêts pour chasser les nains que l'Oisans serait devenu "chauve".