Le Sorcier et le Renard

À la fin de l’été, quand les nuits commencent à mordre et que la lune éclaire mieux que le jour, les muletiers des hameaux d’Aymes et de Mizoën prenaient la route de l’alpe. On appelait cela « ramasser l’alpe » : monter avant l’aube pour faucher les foins des hautes prairies, là-haut, vers Rif Tord. Ils partaient vers minuit, parfois plus tard encore, chacun de son village, mais ils prenaient soin de se retrouver. Une pierre posée à la jonction des chemins servait de signal : le premier arrivé la déplaçait, les suivants accéléraient, et bientôt la petite troupe se reformait. Car attendre, immobile, dans le froid de la nuit, n’était jamais une bonne idée. Alors on marchait ensemble, on chantait pour se donner du courage, on se racontait des histoires pour tromper la fatigue. Un matin, sous un clair de lune éclatant, alors qu’ils traversaient les Envers, les muletiers aperçurent un renard. Il avançait derrière eux, sautillant, comme s’il se moquait. À chaque tentative pour le chasser d’un coup de fouet, l’animal s’éloignait juste hors de portée… avant de revenir aussitôt, fidèle à son jeu. Arrivés près de la chapelle de l’Alle du Pin, le renard fit quelque chose d’étrange : au lieu de passer devant l’édifice, il le contourna largement par le haut. Ce détail glaça les hommes. Pour eux, il ne faisait plus de doute qu’ils n’avaient pas affaire à une simple bête. On disait qu’un sorcier, mené par le diable, ne pouvait approcher un lieu saint. Pris de peur, ils accélérèrent, mais le renard les rattrapa, les dépassa même, et les attendit plus loin. Une fois à l’alpe, il se mit à bondir dans le foin fraîchement coupé… puis, brusquement, disparut. De retour au village, les muletiers racontèrent leur aventure sans hésiter : « Ce n’était pas un renard. C’était un homme, déguisé, qui nous voulait du mal. » L’histoire ne s’arrête pas là. On raconte qu’un homme de Mizoën, occupé à faner à l’alpe, voyait sans cesse un renard lui barrer le passage, juste devant son râteau. Excédé, il finit par lui asséner un coup violent, lui brisant la patte. Le lendemain, au village, il croisa un homme du pays, la jambe cassée. — Qu’est-ce qui t’est arrivé ? demanda-t-il. — Tu le sais bien, répondit l’autre. Et plus personne ne douta de ce qu’ils avaient vu cette nuit-là.