📖 L'histoire
Cette légende moyenâgeuse fait revivre pour nous, toute la vie intense qui existait autrefois au Pied du Col, à Arsine, aux Verna, à l ‘Alpe-du-Villar. La population était nombreuse ; il y avait 22 chalets à l’Alpe appartenant à des gens du Villar, et 9 aux Celles, les ruines qui, à l’heure actuelle, sont sous le refuge, non loin de la Romanche. Les chalets des Celles appartenaient, paraît-il, aux gens qui habitaient les Verna l’hiver. Falque était un nom de famille courant à Villar d’Arène ; la dernière personne qui l’a porté, Frédéric Falque, forgeron, est morte en 1934 à Villar d’Arène.
Le passage resserré de rochers qui domine la Romanche d’une dizaine de mètres, au bout de la Gravière, est dit : « Pas de l’Ane à Falque » mais cela est une des erreurs nombreuses des officiers de la carte d’Etat Major ; l’histoire de ce passage concerne une jeune fille nommée Anne Falque. Il faut donc restaurer l’appellation véritable « Le Pas de Anne Falque ». Cette légende parle aussi des esprits follets : « Lous Foultous » comme on disait en patois.
A tort ou à raison, ces esprits ont tenu une grande place à une certaine période de la vie de nos ancêtres. C’est souvent, paraît-il, que l’on rencontrait leur puissance maléfique. Lorsqu’on moissonnait au clair de lune pour perdre moins de grains, et pour que la paille soit moins cassante, on voyait parfois de ces esprits follets qui parcouraient les champs. Ils avaient à leur service des juments dites « cavales » en patois, pour leurs déplacements. Les gens qui connaissaient leurs habitudes, disent qu’ils n’utilisaient jamais de bœufs, d’ânes ou d’agneaux, car, autrefois, ils avaient été à la crèche, mais d’une jument il fallait toujours se méfier. On affirme que depuis quelques années ils sont moins nombreux, et que finalement, ils auraient été enchaînés pour cent ans ! Il est possible que l’origine du nom : « Clos des Cavales » soit lié avec ces histoires de l’Esprit Follet. « Le Clos des Cavales », dernière prairie miniature avant les moraines aurait été le lieu de pâturage fantastique des juments de ces Esprits qui parcouraient la montagne…
Il y a très longtemps, à Villar d’Arène, existait une très belle jeune fille nommée Anne Falque. Elle était la seule enfant de ses parents. Elle avait déjà perdu son père et vivait avec sa mère du produit de ses champs. A la mi-juin, chaque année, avec sa mère et les quelques bêtes de son troupeau, elle quittait le Villar pour aller s’installer à L’Alpe, le temps de la belle saison, faire montagne, comme on disait alors, faire son beurre, son fromage, garder les bêtes dans les alpages. Elle s’ennuyait bien un peu et pensait longtemps à l’avance à la fête du Pied-du-Col que l’on célébrait, chaque année, pour la Saint-Jean. Elle savait que ce jour-là elle retrouverait des amis et se promettait de se désennuyer. En secret de sa mère, elle s’était fait durant l’hiver, une très belle robe en prévision de la fête. Mais les couleurs qu’elle avait prises étaient si vives et si voyantes que le matin du 24 juin, sa mère la voyant accoutrée de la sorte, lui défendit de descendre avec cette robe.
« Ma fille, nous n’avons jamais eu dans la famille de tenue pareille ! Pour qui te prendra-t-on en bas ? Les Falques sont de bonnes gens, je ne veux pas te voir habillée de la sorte !…
Un peu honteuse et surprise, Anne alla se changer et, maugréant contre sa mère, passa toute la journée à errer derrière les rochers autour de l’Alpe désert, car tous étaient descendus à la fête. Seule, elle promenait son amertume, jurant qu’un jour elle ferait bien ce qu’elle voudrait.
L’été se passa, l’automne vint et durant l’hiver suivant la mère d’Anne mourut.
La fille était, désormais, seule et au mois de Juin de ce nouvel été elle pensa bien que, cette fois-ci, elle ferait bien ce qui lui plairait.
Arrive la Saint-Jean, elle ne regarda pas qu’il y avait seulement quelques mois qu’elle était en deuil, elle mit sa belle robe de couleurs voyantes et prit en courant le sentier du Pied du Col.
Ah ! comme elle se sentait joyeuse, légère, libre…et arrivée au Peyrou, voyant au loin sous le soleil briller les toits d’ardoise des hameaux, son cœur un peu trouble se sentit réconforté. C’est comme si, déjà, elle était plongée dans le brouhaha de la fête et la joie des rencontres.
Au Pied du Col, les parents, les amis, tous les habitants des hameaux étaient rassemblés. Après la Grand’Messe, on mangea en famille et, sur le soir, chacun pensait à retourner chez lui. Mais Anne, en joyeuse compagnie, ne voyait passer ni les heures, ni même la nuit qui s’avançait. Les danses se succédaient les unes après les autres jusqu’à en être étourdie. Sa robe et son attitude scandalisait bien des gens, mais elle ne voyait rien et trouvait toujours un cavalier pour faire une danse de plus. Minuit était passé depuis longtemps quand quelqu’un proposa de raccompagner Anne à l’Alpe.
La petite troupe, encore pleine de rire, prit le sentier de la gravière, pas tellement rassurée dans la nuit noire. Le fracas de la Romanche couvrait les voix et seule l’écume blanche de l’eau qui bondissait entre les pierres, renvoyait quelques reflets de la clarté des étoiles. Arrivés à hauteur du glacier, un sérac très loin en haut se brisa dans un grondement sourd, sinistre bruit dans la nuit froide. L’âme un peu lourde, chacun essayait de plaisanter encore, Anne promettait là-haut de manger les « Crozet » ; quand on arriva où le chemin commence à monter, les garçons se trouvèrent fatigués, ils disaient ensemble :
« Ah ! si au moins on avait une jument pour monter les « Voutes » ! Tout à coup, au rocher qui domine la Romanche, dans la nuit noire se tint devant eux, dans une faible lumière curieuse, une forte jument au poil brun rouge foncé. Fatigué, encore un peu éméché par le vin, sans plus réfléchir, le premier enfourcha la jument et s’attrapa à la crinière frisée ; un deuxième se plaça derrière, puis un troisième, quand le quatrième, qui était monté, vit que derrière lui on pouvait encore asseoir un cavalier, stupéfié cria : « Oh ! Jésus, Maria » , aussitôt une flamme de feux illumina la pénombre, un ricanement sournois se fit entendre, puis ils ne virent plus la jument qui avait totalement disparu. L’Esprit Follet s’était manifesté, ils en avaient tous conscience. Anne Falque, folle de terreur, criant : « Pardon , ma Mère », sauta dans la Romanche, le flot torrentueux l’emporta et à jamais elle disparu.