Les ensevelis du Chambon

La construction du barrage du Chambon a profondément marqué la mémoire collective de la haute vallée de la Romanche. Chantier titanesque, mené dans des conditions extrêmes entre la fin des années 1920 et le milieu des années 1930, il a mobilisé des centaines d’ouvriers et transformé durablement le paysage. Dans les villages environnants, ce chantier est rapidement devenu le terreau de récits sombres et impressionnants. L’un des plus tenaces évoque des ouvriers disparus dans le béton même du barrage, engloutis lors des coulées et scellés à jamais dans l’ouvrage. Ces histoires, transmises de génération en génération, traduisent l’effroi suscité par l’ampleur des travaux et par la dangerosité du site. Les sources historiques et les archives disponibles montrent toutefois que la construction du barrage suivait une organisation très progressive, incompatible avec l’image d’ensevelissements soudains dans le béton. En revanche, le chantier fut bel et bien meurtrier. De nombreux accidents survinrent, en particulier lors des fouilles et du terrassement du lit de la Romanche, exposant les ouvriers à des effondrements et à des conditions de travail extrêmement risquées. Entre treize et une trentaine de décès sont aujourd’hui recensés selon les sources. Ces morts bien réelles ont durablement marqué les esprits et semblent avoir nourri, au fil du temps, des récits plus dramatiques encore, où la frontière entre faits et légende s’est progressivement estompée.